Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/405

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
399
STUREL RETOMBE SOUS LE JOUG DES CIRCONSTANCES

prendre au plaisir de sentir. Sur des plateaux privés de chemins de fer, où les bois, les lieux dits, les villages portent des noms gothiques, le vent qui nous mordait le visage était si âpre et si pur que je le goûtais à pleine bouche, en songeant : cette saveur était la plus familière aux hommes de qui je suis, à Paris, parmi des étrangers, le prolongement et l’espoir.

Un soir paisible régnait. Les domestiques en silence servaient un dîner élégant. Sturel n’avait pas eu deux mots sur l’agrément de cette petite maison où il entrait pour la première fois. Voyait-il même les fleurs sur la nappe et la tristesse dans les yeux de Thérèse ? Un coude sur la table et le menton appuyé sur sa main, elle attendait que son souvenir apparût au moins une fois dans ce voyage où son ami ne semblait avoir senti aucun vide.

Sturel insista pour Rœmerspacher sur le côté naturaliste de son excursion :

— Nous avons poursuivi la plante humaine sur son terrain d’origine et non point dans les massifs parisiens, où elle prend des besoins et subit des influences artificiels : nous touchions les racines de la nation.

— Bah ! qu’est-ce qu’un recul historique ? Les évolutionnistes conçoivent la psychologie comme un développement de la biologie, ils étudient l’homme dans la série de ses lointains aïeux, jusque dans le monde des protozoaires et des plastides.

Sturel s’étonna de ces railleries sur une méthode « rationnelle » qui devait plaire à son ami. Mais il craignait une conversation trop lourde. Rœmerspacher, lui, ne redoutait pas une conférence :