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L’APPEL AU SOLDAT

taine de tombes contiennent chacune vingt-cinq cadavres de prisonniers français, qui périrent de misère en 1871 dans un camp installé tout près sur la hauteur. Un tir traverse ce modeste cimetière des vaincus, et volontiers les Allemands s’assoient sur les renflements faits de la cendre de nos compatriotes. Le bruit des trains qui manœuvrent l’envahit d’un tapage ininterrompu. Mais un ossuaire de huit cents corps projette un rideau si épais de branchages et surtout impose une si forte atmosphère morale que Saint-Phlin et Sturel, dans cette belle matinée, jouirent de ce lieu sacré comme d’une enclave de la France en Prusse.

Ayant lu les pauvres noms des morts et puis, avec plaisir, les inscriptions noblement pompeuses qui célèbrent Marceau, ils s’aperçurent que c’est un peu léger de se consoler des choses d’il y a dix-neuf ans par celles d’il y a quatre-vingt-huit ans. Ils revinrent ainsi à l’idée que constamment ils vérifiaient depuis dix jours : la diminution de la France dans la vallée de la Moselle. Et, bien que cette vérité les attristât, ils se complaisaient à la comprendre. Après ce voyage, l’un et l’autre s’assurant d’apprécier plus justement les faits, ils voyaient le boulangisme comme un point dans la série des efforts qu’une nation, dénaturée par les intrigues de l’étranger, tente pour retrouver sa véritable direction. Une suite de vues analogues leur composaient un système solidement coordonné où ils se reposaient et prenaient un appui pour mépriser le désordre intellectuel du plus grand nombre de leurs compatriotes.

Dans cette solitude où ils repassaient leurs impressions pour en faire des idées, ils furent soudain dé-