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L’APPEL AU SOLDAT

oratoire, Fléchier, Bourdaloue, Massillon ; devant ce dernier il ouvrait la bouche, les deux bras, et s’inclinait. L’ensemble de ses propos témoignait non pas le désir d’offenser, grand Dieu ! mais une grossièreté naturelle ; c’était la confiance dans la force, dans le sérieux de l’Allemand et une admiration de domestique pour l’élégance, la richesse, la politesse de la France. Quand il chercha des termes pour exprimer son horreur et sa terreur du général Boulanger, Sturel n’y put tenir et lui dit :

— Nous allons être obligés d’expliquer à vos amis que vous ne savez pas un mot de français.

— Non, disait-il, ne faites pas cela. À quoi bon ?

Pendant un quart d’heure il les retint par le bras, discourant dans sa langue, avec des « mon cher ami » en français. Mais eux simulaient la conscience qui veut se décharger :

— Voilà comme nous sommes, nous autres Français ; pouvons-nous laisser plus longtemps dans l’erreur vos compatriotes qui vous croient polyglotte ? Serait-ce délicat ?

Coblence est à cinquante kilomètres de Cochem. En montant sur leurs bicyclettes pour cette dernière étape, les deux voyageurs se proposent d’observer mieux que jamais les détails de la route ; près de retourner à leur vie banale, ils voudraient amasser le plus possible d’images. C’est sain de sortir de soi-même, de s’attacher aux réalités, et Sturel chaque jour distingue un mérite nouveau à la méthode imposée par Saint-Phlin, de regarder toutes choses comme se développant.

Voici encore des ruines, le magnifique manoir des