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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

sait pour interprète, et, bien qu’il leur parût familier, ils ressentirent de la gêne pour son humiliation quand ils ne saisirent pas un mot de son baragouin.

Gehen wir aus ! Sortons ! leur dit-il assez bas.

Soustrait à la surveillance de ses compatriotes, il raconta avec des substantifs et des infinitifs qu’autrefois il avait su le français et qu’à Nancy, dernièrement encore, une demoiselle dans un bureau de tabac l’avait félicité de sa prononciation.

— Je disais toujours en France que j’étais Viennois parce qu’il paraît que les gens du commun, chez vous, n’aiment pas les Prussiens. Si j’avais l’occasion de m’exercer, je saurais très bien le français. Chaque fois que je vois des Français, j’aime à causer avec eux.

Et il voulut que les deux amis lui expliquassent la différence entre « porter, apporter, déporter, importer, exporter, emporter, rapporter ». Il marchait en s’efforçant de sortir la poitrine et de rentrer le ventre ; il posait le pied à plat et d’un seul coup. Ce personnage si évidemment trivial et prosaïque manquait du moindre tact, et l’on avait toujours à craindre qu’il ne parlât d’idéal. D’instant en instant, il demandait :

— Comment dites-vous : un juge de paix ? Je suis juge de paix d’une petite ville près de Kolberg.

Il chercha ensuite à rendre intelligible sa conception de l’Allemagne, où Sturel et Saint-Phlin reconnurent l’expression vulgaire d’une philosophie fondée sur la mission des peuples germaniques. Il souligna de ses rires grossiers la diminution des naissances en France, mais il reconnut que nous possédons quelque chose d’unique, le génie