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L’APPEL AU SOLDAT

un ensemble piriforme. Ses bottes à tiges droites, qui montaient jusqu’à mi-mollet sous le pantalon déformé par le genou, rendaient encore la jambe plus laide et le pied plus vaste. Tous les détails le complétaient. De son binocle partait une chaînette en or, élégamment passée derrière son oreille droite, et, sous les verres, son regard dardait inquisiteur et intelligent. Ses cheveux plats, fort rares, collaient et luisaient d’une pommade qui sentait la graisse. Sa redingote gris foncé, à deux rangs de boulons, croisait sur sa poitrine, avec de nombreux plis lourds, à cause de l’étoffe trop raide, tandis que, d’encolure manquée, elle bâillait dans le dos. Le faux col, mal maintenu par une de ces chemises en laine tissée et d’un jaune sale qui portent le nom de leur inventeur, le professeur Dœger, remontait dans le cou. Par devant s’étalait une chemisette en caoutchouc, blanche, mais qui devait à d’innombrables lavages matinaux des reflets verdâtres ; un énorme bouton, pointu comme un casque, fermait le col et empêchait de monter une cravate constituée par deux parallélogrammes plats et croisés avec une partie intermédiaire supérieure où brillait un gros corail rouge. Les manchettes, indépendantes de la chemise, s’agitaient librement autour du poignet et glissaient jusqu’au bout des doigts, d’où le personnage les repoussait incessamment avec un geste élégant. Son chapeau de velours brun, à bords larges, s’avachissait.

Sturel et Saint-Phlin considérèrent d’abord, comme une magnifique curiosité, ce type classique de l’Allemand apporté par le flot historique sur les douces rives mosellanes. Puis ils comprirent qu’il se propo-