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L’APPEL AU SOLDAT

ses concitoyens. La voiture publique qui m’allait ramener au chemin de fer vint se ranger à notre trottoir. J’aurais voulu, au moins, par l’âge, être l’égal de mon hôte illustre pour oser le presser dans mes bras.

« Comme nous nous éloignions, durant quelques minutes, je le vis de dos qui regagnait sa maison. C’est à cette image dans le grave décor des cyprès que ma piété s’attache le plus. Il retournait dans son isolement. Mais dans une maison héritée de son père, parmi les témoins de sa constance, au milieu de ce riche village, de cette plaine et des pures montagnes, dont l’abolition ferait de son œuvre une épave insensée, il est moins isolé qu’aujourd’hui la plupart des hommes supérieurs, qu’interprète avec malveillance un entourage sans unité. Ils s’attristent, parfois s’aigrissent, et de toutes façons ressentent un perpétuel malaise. Ne penses-tu pas, Sturel, qu’à nous-mêmes Mistral fournit une grande leçon sur l’importance, pour notre bien-être et pour la conservation de nos énergies supérieures, d’accepter un ensemble d’où nous dépendions ? C’est, du moins, dans ces sentiments, avec une profonde émotion, que je quittai ce grand homme et ce centre d’un monde particulier. »

Quand Saint-Phlin eut terminé son récit et mis sur pied cette forte image bien propre à illustrer les idées qu’ils avaient levées de concert aux étapes précédentes, Sturel, après un silence, demanda :

— Quand donc l’as-tu fait, ton voyage à Maillane ?

— En 1884, peu de temps après que Mouchefrin m’eut insulté ! Tu te rappelles l’état que je traversais… Mistral ne m’a rien exprimé qui fût tout à fait