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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

maison d’Anjou et sous la branche cadette de Lorraine où l’on écrivit quelques ouvrages notables en un dialecte sélecté des patois, la vie locale était trop tumultueuse et trop pauvre pour que des écrivains se plussent à composer des travaux et pour que l’aristocratie ou les bourgeois cherchassent du plaisir à voir leurs mœurs et leurs sentiments fixés dans leur langue. Cette culture de luxe, ils la demandaient sans doute à la cour de France. Bien avant de perdre leur autonomie, nos compatriotes cherchaient à l’étranger une discipline. Dans nos patois abandonnés aux petites gens, il y a des expressions saisissantes de vérité, toutes moulées sur les habitudes, sur les préoccupations, sur le gagne-pain, et fort malicieuses à l’occasion. (J’ai cité à Mistral quelques-uns des mots pittoresques que nous disait, l’autre soir, ma grand’mère.) Mais l’ensemble correspond aux manières de sentir d’une civilisation inférieure. Où ces paysans réussissent le mieux, c’est dans leurs chansons, rondeaux, noëls, légendes et fabliaux, quand ils donnent carrière à leur esprit satirique avec des quolibets d’une effroyable grossièreté. Voilà, à mon avis, toute la tradition qu’on pourrait retrouver et faire apprécier. Du temps que MM. Jules Ferry et Buffet se disputaient la prééminence dans les Vosges, ils ont souvent et avec succès lancé des pamphlets en patois. Je sais bien qu’un dialecte qui s’est essayé dans l’épopée et qui fait encore rire dans le bas comique suffirait au génie d’un Mistral, mais la situation n’est plus entière en Lorraine. Voilà des siècles que du patois lorrain, prêt à sombrer, nous avons, à tort ou à raison, débarqué beaucoup de choses pour les placer avec nous dans la