Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
364
L’APPEL AU SOLDAT

aux mœurs locales, il restituait à son univers natal un sens naturel. Il a rendu confiance à une société qui s’était désaffectionnée d’elle-même. Son œuvre est une magnifique action. Il est le sauveteur d’une petite patrie.

Sturel croyait la connaître, cette Provence, rude par son vent et ses coteaux pierreux, douce de civilisation. Il avait respiré l’odeur des cyprès qui se mêle à l’odeur des pins, et suivi le Rhône jusqu’à ses embouchures fiévreuses à travers les villes grecques et sarrasines. Il pouvait décrire de mémoire le terrain d’action de Mistral, qui laisse Marseille à la mer et Nice aux cosmopolites, pour préférer Arles, ses tombeaux et ses filles, Avignon et sa colline papale, le bric-à-brac archéologique des Baux qui sont couleur de sépulcre, les effets d’eau de la Sorgue et ses platanes si puissants vers Vaucluse, enfin les ruines romaines de Saint-Rémy.

Un jour d’automne, en montant du village vers les Alpines, derrière un rideau d’oliviers, soudain lui avait apparu le plateau des Antiques. Sur un gazon planté de quelques arbres où sont disposés des bancs de pierre, dans une admirable campagne, s’élèvent un arc de triomphe et un mausolée. Leurs bas-reliefs inspirèrent David et son École. En plus du dessin, quel charme de couleur ! Ah ! cette trouée d’azur, par la fenêtre du premier étage, dans le monument funéraire, bleuté des colonnes au faîte ! Et sur les espaces pleins, ces couleurs d’ocre pointillées d’un carmin qu’ont fait le soleil, la pluie et une moisissure ! Sturel, assis dans l’ombre de ces ruines, avait derrière lui, toute proche, la ligne sévère de la montagne rocheuse, et, sous les yeux, des intensités d’arbres, des accen-