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L’APPEL AU SOLDAT

— Eh ! quelle obstination à considérer les villages de la Basse-Moselle comme une grenaille que se disputent les aimants de Paris et de Berlin ? Amenons notre esprit à un état plus lucide et plus doux. Pourquoi ce territoire ne poursuivrait-il pas un développement ni parisien ni berlinois ? Est-ce que ces régions n’ont pas été un centre du quatrième au neuvième siècle ?… Elles ne surent garder ni prépotence, ni unité. Liées comme électorat à l’Allemagne, attirées au dix-septième siècle dans l’orbite française, rattachées à la France de 1794 à 1815, maintenant prussiennes, elles languissent d’avoir été tiraillées entre deux grands pays, et sans cesse empoisonnées d’étrangers. Mais notre France n’aurait-elle pas beaucoup gagné à l’existence propre d’un État catholique, avec, pour capitale, la vieille ville romaine des archevêques de Trêves ? Tiens, Sturel, plutôt qu’un soldat français appuyant son fusil contre ce monument d’Igel, je voudrais un poète indigène accoudé à cette pierre vénérable et lui demandant l’inspiration de quelque beau cri de patriotisme local… Il serait archéologue, ce poète, pour dire à l’Allemagne : « Vous élevez, dans la forêt de Teutberg, le monument du Teuton Hermann, qui massacra trois légions de l’empereur, mais nous honorons à Neumagen le souvenir de Constantin le Grand ; nous sommes le sol des empereurs. » Il serait linguiste pour restituer de la noblesse au dialecte franc qui d’Arlon à Baireuth atteste encore l’unité disparue et les temps où l’Austrasie, comprenant en plus du bassin de la Moselle celui du Main, s’étendait aux deux rives du Rhin… Il faudrait que ce pays dégageât ses divers âges gallo-romain, franc, autrasien, et connût qu’ils