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L’APPEL AU SOLDAT

Eh bien ! ce sol de Lorraine, ainsi retourné par l’arrachement de ses fortes familles, laisse mieux voir sa qualité de fonds. En 1889, c’est toujours de la magnifique France. Cette conversation de table d’hôte, où nulle question d’abord ne fut abordée franchement, ne laissa aucun doute pour Sturel et Saint-Phlin. Un notaire, fonctionnaire allemand, donnait des chiffres : Sierck, depuis la guerre, s’est vidée de moitié en France. Ce qui n’a pu émigrer s’oriente désespérément vers la frontière, comme les branches et les feuilles d’un arbre, à qui l’on oppose un obstacle, avant de périr s’ingénient encore vers la lumière. Et ces dîneurs rappelaient que chaque année des jeunes conscrits, dont les parents en 1871 n’ont pu opter, passent la frontière et se présentent dans les bureaux du recrutement français. Là-dessus un fonctionnaire allemand intervint pour ricaner et dire :

— On les enrôle dans la Légion étrangère, on les envoie se détruire au Tonkin.

C’est l’argument formidable que répètent chaque jour les journaux officieux d’Alsace-Lorraine ; ils donnent des listes et montrent l’énorme pourcentage des annexés sacrifiés dans un service si dur et si peu fait pour de bons adolescents.

— Pardon, disait Sturel, du ton détaché qu’on prend là-bas pour traiter ces dangereuses questions, pardon ! ce mois-ci, juillet 1889, sur l’initiative de M. Charles Relier, député de Belfort, je précise, la Chambre a décidé que les Alsaciens-Lorrains pouvaient recouvrer par une simple déclaration leur nationalité française, et entrer dans les régiments et dans les écoles militaires françaises.