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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

1870. Car voilà pour le développement prospère d’une civilisation la chose essentielle : qu’un sol soit peuplé de gens honnêtes dans leur ordre et jouissant d’être connus comme tels. Nul ne fût mieux rentré dans cette définition que Frédéric Lœwenbruck, ou Léon Saur, ou François Collignon, maintenant disséminés : des fils de petites gens, mais de qui le nom familial se prononçait avec considération. Que les enfants de modestes commerçants aient suivi les professeurs français à Nancy, quand il eût été plus économique, plus familial de s’accommoder des gymnases du pays annexé, comme cela représente des mères courageuses, des pères travailleurs, une opinion publique idéaliste, oui, d’honnêtes familles, bien fidèles à la France ! Être un anneau dans une chaîne de ce métal, quelle solidité, quelle sécurité, quelle convenance c’était pour les camarades de Sturel et de Saint-Phlin ! Ces jeunes gens, sans le traité de Francfort, auraient doucement passé leur temps d’existence ! quelques-uns émigrant sans doute vers les autres départements, sur l’Europe, aux colonies, mais se réservant toujours leur lieu de naissance, l’endroit qui leur est le plus sain, leur refuge et leur centre. Et maintenant les chaînons brutalement ont été rompus ; ces familles françaises sont dispersées en poussière d’individus sur la terre française. Leur petite patrie leur est interdite et leur serait méconnaissable. Voilà des exilés ! Voilà des diminués ! À chaque pas sur ce territoire spolié, Sturel et Saint-Phlin constatent le déracinement de la plante humaine. Un beau travail des siècles a été anéanti ; une magnifique construction sociale, un jardin d’acclimatation français, dévastés et défoncés.