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L’APPEL AU SOLDAT

dans les limites d’une loi fixe, et sous l’action générale de la force des choses ; chaque patrie, allemande ou française, exige de ses membres les mêmes charges en échange des mêmes services ; pourquoi donc l’homme des petites villes qui vit d’un travail assidu, loin des centres d’enthousiasme ou de haute culture, serait-il sensible à des déplacements de frontière ? Ils n’entraînent qu’un changement de l’étiquette sur un ensemble de réalités qui continuent à se développer selon leur force organique…

Et voici Sturel et Saint-Phlin mis en défiance sur la réalité de l’idée de la patrie.

Dans la petite auberge de Sierck, le soir de leur arrivée, les deux jeunes gens mangeaient à table d’hôte avec cinq ou six personnes, des pensionnaires plutôt que des voyageurs À Metz, à Thionville, et dans cette petite ville tout à l’heure, certains noms lus sur un magasin : Lœwenbruck, quincaillier, Saur, marchand de fromages, Collignon, architecte, leur avaient rappelé des anciens camarades du lycée de Nancy. Serait-ce lui ou bien un parent ? Tout en mangeant, ils s’informèrent.

— Le Frédéric, le Léon, le François ? leur répondait-on, il est négociant en cafés au Havre, il est dans les draps à Rouen. Ah ! Messieurs, on connaît bien toutes les bonnes familles du pays…

Le deuil de Metz, Sturel et Saint-Phlin au monument de Chambière l’avaient subi avec une pleine force et jusqu’à ressentir comme un empoisonnement physique. Mais c’est ce mot « les bonnes familles du pays » qui leur mit sous les yeux, comme une chose tangible, le désastre subi par la nation française en