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LA FIÈVRE EST EN FRANCE

bonne, il entendit des maîtres, les Jules Soury, les Thévenin, soumis à l’idée de développement dans la nature et dans l’histoire, qu’une conversation avec M. Taine lui avait permis d’entrevoir. Sous leur influence, il désira couper sa médecine par un séjour en Allemagne. Mais son grand-père, le chef de la famille, un patriote et surtout un Lorrain réaliste, n’admettait pas qu’un Français pût profiter chez l’ennemi. Et puis pourquoi interrompre des études en faveur de travaux sans objet déterminé ? « Ouand on monte dans une barque, disait-il toujours, il faut savoir où se trouve le poisson. » Sur les entrefaites, ce témoin de la vieille France, honoré dans tout le canton de Nomeny (Meurthe-et-Moselle), mourut : il laissait à son petit-fils une rente de trois mille francs. — Que dans leur vie intérieure Rœmerspacher et Sturel élèvent parfois une action de grâces vers la suite des ancêtres laborieux qui leur constituèrent cette petite aisance indispensable pour la grande culture !

C’est en Allemagne que Rœmerspacher reçut la lettre de Sturel, et il lui répondit :

« Mon cher ami.

« J’ai lu avec un grand intérêt les sentiments qu’éveillent en toi ces pays que tu parcours. De nous deux le plus artiste, le plus impressionnable, tu enregistres ce qui m’échapperait. Quand même je visiterais l’Italie, sur certains points j’en aurais une impression moins exacte qu’à te lire ; et, par exemple, il faut que je te voie admirer Garibaldi, pour comprendre comment tout ce peuple, et l’aristocratie