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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

nant à huit heures sur un geste bref de la grande canne et s’engouffrant dans les rues avec toute la population derrière ! Cette discipline théâtrale et monotone pénétrait, pour en faire des héros et des amateurs de mort glorieuse, les jeunes garçons des places à la Vauban. Il y a là un état d’âme français qui disparaît sans avoir reçu son expression littéraire.

Les fortifications de Thionville subsistent, mais déclassées ; elles ne sont plus que des promenades agréablement plantées de chênes et aménagées en kiosques, en petites terrasses surélevées. 1870 a transformé les paysages de la Lorraine aussi bien que ses mœurs. Dès l’instant que la population perdait contact avec le soldat, — prussien et qui, d’ailleurs, évolue dans ses forts fermés à la curiosité publique, — c’était la fin de ces laboratoires d’esprit militaire. Pourtant ils ont fourni des officiers d’un même type hautement honorable, dédaigneux du panache, réalistes et moraux, en si grand nombre que cette discipline semble devoir survivre aux conditions qui la produisaient ; elle demeurera une des pierres de la construction française quand les carrières lorraines d’où on l’extrait auront totalement disparu sous les remblais allemands.

Après un arrêt de trois heures à Thionville, Saint-Phlin et Sturel franchirent dans la même journée les dix-sept kilomètres qui les séparaient de Sierck.

C’est une petite ville au bord de la Moselle, resserrée étroitement entre de fortes collines de vignes ou de prairies et qui d’abord semble toute se réduire à la vaste forteresse ruinée qui la surplombe. Plus âpre que Thionville, elle n’est faite vraiment que de