Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
332
L’APPEL AU SOLDAT

toute la finesse des vieilles villes, s’appliquent encore à plus de courtoisie et d’urbanité par réprobation de celle lourdeur teutonne qui pour une sensibilité française sera toujours goujaterie. On causa de la chose éternelle : l’amertume d’être allemand. Les troupes si nombreuses ne rapportent pas un sou au commerce ; elles se fournissent dans des coopératives ; il ne vient d’outre-Rhin que des gens de peu, avec une éducation de sauvage et seulement quelque argent pour parader, tels enfin que la vieille colonie messine ne voudra jamais les recevoir. Cette immigration incessante relèvera-t-elle les immeubles tombés à rien ? Et enfin, la grande chose : on avait tout espéré du général Boulanger, il terrifie les Prussiens ; comment se trouve-t-il des mauvais Français pour le persécuter ?

À Metz, les petites et les grandes filles de qui Sturel et Saint-Phlin subissent la puissance émouvante, touchent par une délicatesse, une douceur infinie plutôt que par la beauté. Leur image, quand elles parcourent ces rues étroites, pareilles aux corridors d’une maison de famille, s’harmonise aux sentiments que communique toute cette Lorraine opprimée et fidèle. Quelque chose d’écrasé, mais qui éveille la tendresse ; pas de révolte, pas d’esclaves frémissantes sous le maître, mais l’attente quand même, le regard et le cœur tout entier vers la France. C’est ici une caserne dans un sépulcre, mais c’est aussi un parfum, une manière de vieille province. Depuis 1870, la France fait voir d’immenses transformations, mais cette ville où ne sont restées que les classes moyennes et dans des conditions qui