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L’APPEL AU SOLDAT

Dans la nuit, ils virent, à dix pas, un grand vieillard aux proportions athlétiques, courbé sur un bâton, et qui, dans une attitude de défiance, se rangeait au passage des deux inconnus. Saint-Phlin s’avançait pour lier conversation. Sturel le retint, cédant à une terreur, comme s’il portait une responsabilité dans l’affaire Racadot. Après un court débat, ils sautèrent sur leurs bicyclettes. Cependant l’aubergiste avait rejoint le père de l’assassin et leur évidente solidarité contre les étrangers projetait dans Sturel une sorte de tristesse et même une impression d’angoisse. Cette seconde de désarroi, telle qu’il manquait de mots pour se rendre compte à soi-même de son trouble, devait demeurer dans sa vie un de ces souvenirs pénibles qu’on chasse presque à la main.

Saint-Phlin, ignorant de ces délicatesses insensées, plaisantait :

— Tu t’es rappelé le proverbe lorrain : « Il ne faut pas se moquer des chiens avant d’être sorti du village. »

— Pauvre Racadot ! prononça Sturel avec un accent plus grave que sa voix n’en avait d’ordinaire, car dans cette minute il se sentait commandé, lui aussi, par la série de ses ancêtres, et qu’aurait-il valu affranchi, fils d’une série de malheureux esclaves agricoles !

Mais Saint-Phlin :

— Il est malsain de chercher des excuses à ces gens-là. Si tu croyais, tes velléités de pitié se satisferaient à penser qu’il peut s’en tirer avec du Purgatoire, moyennant une bonne contrition. Tu le jugerais d’un point de vue très sûr, la loi de Dieu. Il te reste