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L’APPEL AU SOLDAT

commencent à ne plus servir, le soleil se tenait encore haut dans le ciel. Tout ce pays est à peu près semblable, caractérisé par une certaine médiocrité de la ligne qui ne s’enfle jamais beaucoup. Ces collines où serpente la rivière se vêtent de vignes à la base, de forêts au-dessus, et parfois leurs sommets demeurent dénudés. La Moselle, en se jetant à angle droit vers le nord-est, rejoignit les vastes bois de la Haie qu’elle avait quittés vers Toul. Paysage d’un joli ton clair et charmant de sérénité heureuse. Il n’affirme rien largement, vigoureusement ; sa grâce se développe un peu incertaine, mais les peupliers près de l’eau expriment un féminin, une pureté extraordinaires. Bientôt le ciel amortit sa grande chaleur et parmi des bouquets d’arbres, le long d’une rivière, — mystérieuse, à mesure qu’elle prenait des tons sombres, comme une enfant en velours violet, — ces paysages un peu maigres et qui, sous le soleil, avaient vite fini de parler, s’enveloppèrent d’élégante volupté.

Liverdun, Frouard, Custines, Marbache, Dieulouard, où l’on pourrait lire Virgile ! Nul poète, malheureusement, d’un vers immortel ne releva ces lieux. Leurs grâces sont consommées sur place par les Nancéiens du dimanche. D’un mot heureux, le jeune homme de Mantoue a porté sur l’univers le frémissement du lac de Garde égal aux flots de la mer. Des chansons populaires nous firent croire qu’à Triana, près Séville, à la Giudecca de Venise, que n’ombrage même pas une treille, s’étendaient des jardins divins. On est simple, simple, en Lorraine. On craint si fort de surfaire, de s’en faire accroire, qu’on apprécie mal ce qu’on possède. Qui