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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

mesquines et d’intolérance. Pour bien atteindre les qualités locales, il faut s’abandonner à la pente d’une rêverie très avertie de la succession des événements. Les paysans qui peuplent la contrée et qui sont les vignerons des propriétaires urbains se font d’abord reconnaître comme les descendants de la peuplade qui, sur ce territoire, prit parti pour César. Mais les citadins ? Mêlés sur toute la France, peuvent-ils maintenir un esprit autochtone qui semble impuissant à lutter contre la civilisation interprovinciale ? Sans doute, Paris commande les fonctionnaires nomades dont la population indigène, qui vit par eux et selon eux, semble le complémentaire, mais très vite la petite ville modifie ces étrangers, leur impose sa température. Dans ces rues qui s’appellent Général-Foy, Baron-Louis, Béranger, Liouville, Carnot Chanzy, Gambetta, mais pareilles à ce qu’elles étaient sous des noms qui tombèrent faute de sens ; dans ces maisons qui datent de cent cinquante, deux cents ans, et dont quelques rez-de-chaussée seulement ont été changés en boutiques ; au milieu de ces couvents, chapelles, séminaires encore reconnaissables malgré leur utilisation bourgeoise ; dans l’ombre immense de ces merveilles de l’art au moyen âge, Saint-Gengoult, Saint-Étienne, l’adhésion à l’uniformité nationale demeure superficielle. Si les grands bourgeois n’ont pas survécu à la chute de leur noble ville libre aux mains des Français (seizième siècle), quelque chose demeure d’un passé contre lequel toutes les forces administratives se massent. Nous saisissons mal cette persistance de la vieille Lorraine, parce que des mœurs trop éprouvées endorment notre sens du pittoresque. Peut-être faudrait-il un étranger pour