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L’APPEL AU SOLDAT

vicus, s’est conservée comme groupe de travail et comme base des relations de famille ; elle a maintenu, alors que la race conquérante changeait et que la propriété se transformait, la fixité presque absolue du type de l’habitant. Son territoire nous est connu : conservé à travers les siècles, il forme de nos jours le ban de notre village lorrain moderne, trois cents hectares en moyenne par commune. Sur ces morceaux de terre, le grand propriétaire gallo-romain se transforma en écuyer propriétaire des douzième et treizième siècles ; les habitudes de nos fermiers de Meurthe-et-Moselle nous donnent une idée approximative des habitudes d’un gentilhomme mosellan au moyen âge : repas en commun, culture dirigée par le maître, noces et funérailles qui sont les occasions de réceptions et de festins ruineux. Au quatorzième siècle, les seigneurs sont indépendants, toujours en guerre, peu soumis au suzerain ; ils constituent une république aristocratique. Au seizième et surtout au dix-septième, le gentilhomme n’est plus un petit potentat sans peur, il doit se ranger sous les bannières d’une ligue ou d’un grand prince. Au dix-huitième, il rêve des institutions anglaises qui lui permettraient de faire partie de la Chambre des communes. Au dix-neuvième, il se présente au Conseil général et au cercle des Pommes de terre.

Au-dessous de ce gros personnage, dont le château rebâti est entouré des restes d’une déférence jalouse, le paysan dans sa vieille maison a hérité les parcelles de son père, le serf du domaine, et de son ancêtre, l’esclave rural. Il a hérité aussi les intérêts, les aspirations, les croyances de ces antiques terriens et toute une façon d’entendre la vie qui n’aurait eu de