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L’APPEL AU SOLDAT

justifient sa complaisance. « J’errais où tant de fois avait erré lord Byron, écrit Chateaubriand. Quels étaient ses chants, ses abattements et ses espérances ? » Sur le monticule le plus élevé de ce sable, en octobre 1829, par un soir de lune sans brise, tandis que la mer grondait doucement, Mickiewicz, appuyé contre un arbre, eut une belle vision mystique. Il arrivait de Weimar ; l’atmosphère sereine de Gœthe l’avait pénétré et le détournait des chemins rudes où l’engageait le sentiment de ses devoirs propres et de sa destinée. L’âme de Byron lui apparut ; elle le soutint contre cette tentation bien connue de tous les héros. Ce fut sa transfiguration. Il se détermina irrévocablement à conformer sa vie extérieure à sa vie intérieure, son action à sa parole, et, laissant là toute humaine habileté, à se régler non point sur des calculs personnels, mais, comme il disait, sur la volonté divine.

Les ombres qui flottent sur les couchants de l’Adriatique, au bruit des angélus de Venise, tendent à commander des actes aux âmes qui les interrogent. Mais Sturel, bien capable, avec son érudition de poète, d’évoquer la troupe des immortels qui mirent leur empreinte sur ces nobles solitudes, saisissait mal leur principe d’activité. Il les sortait du temps et de l’espace et leur prenait seulement ce qui pouvait favoriser son exaltation. Le long de l’histoire il s’attachait aux héros sans distinguer les circonstances qui les firent tels. Et dans son existence au jour le jour, guidé par cette sorte d’appétence morale qui incite les âmes, comme vers des greniers, vers les spectacles et vers les êtres où elles trouveront leur nourriture propre, il s’orientait tou-