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L’APPEL AU SOLDAT

vannes a mise dans son Bois sacré. Parfois ces jeunes corps sveltes et durs évoquent pour l’imagination, que leur senteur fortifie, une forêt de lances fichées en terre. Et sur la hauteur atteinte, sur le chaume, ce moutonnement des têtes, agitées par le vent, est pathétique comme la rumeur d’un camp. — Les vallées longues, étroites, étonnent l’œil par leur propreté parfaite : des tapis d’une herbe luisante, des ruisseaux, emportés et limpides sur les vieilles pierres se détachent d’autant mieux dans le cadre noir des sapins. — Çà et là, les hommes ont imposé une maison de garde, une petite ferme à la montagne ; elle reste pourtant maîtresse de sa beauté et de ses arrangements, et, dans certains cantons forestiers escarpés, nul ne peut exploiter sa vêture.

Il faut comprendre le système général de ces contre-forts qui soulèvent, creusent et enserrent le pays. Une race est née entre leurs bras, avec la mâchoire forte et la tête carrée, célèbre par son entêtement. Comme des divinités assoupies, toujours pareilles à elles-mêmes, les Vosges sont assises dans l’éminente splendeur du midi et au romanesque coucher du soleil et dans le tombeau étoilé de la nuit. Belle assemblée de montagnes, forte, paisible et si salutaire qu’à nos nerfs mêmes elle donne une discipline ! De ces colosses immobiles naît la frivolité, la pente, la fuite, l’insaisissable. La Moselle est la délégation de leurs énergies intimes.

Elle jaillit sur le versant français à trois cents mètres du tunnel qui franchit le col de Bussang et s’ouvre sur la magnifique plaine d’Alsace. La « source de la Moselle » n’est pas la plus forte, ni la plus reculée des gerbes d’eau qui la forment d’abord,