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LA VALLÉE DE LA MOSELLE

par deux portes. Quand le roi, à force de promesses, décide ses postillons à continuer leur service, et quand ils entrent dans Varennes, ces deux barricades, des hommes déterminés et tout un peuple en rumeur l’attendent.

Au delà du pont, Saint-Phlin offrit à Sturel un verre de vermouth dans « l’Hôtel du Grand Monarque », où l’escouade que cherchait Louis XVI, ne comptant plus sur sa venue, reposait à l’écart de tous ces préparatifs. Ils remontèrent ensuite cette unique rue de la Basse-Cour, pour s’arrêter à main droite, environ trente mètres au-dessous du Café de Drouet, devant le n° 281. C’est la maison du procureur Sauce. Cet humble logis où l’on força les fugitifs à entrer n’a point bougé depuis cent ans, sauf que la boutique du rez-de-chaussée est transformée en appartement. Par hasard, à la place ancienne du marteau, au milieu de la porte d’entrée, il y a une tête de femme avec une ferronnière. Cette reine guillotinée arrête l’imagination qui cherche l’occasion de s’étonner. Sturel et Saint-Phlin montèrent au premier étage où la reine, les enfants et Louis apprirent que des sujets loyaux aiment dans leur roi la garantie de l’ordre, de la sécurité, et que, s’il faut choisir entre sa personne et ces intérêts, ils ne balancent pas indéfiniment. Louis XVI se répandait en promesses pour qu’on le laissât continuer son voyage ; il jurait de ne pas dépasser la frontière. Un fendeur de lattes, très court sur des jambes torses, le père Géraudel, l’interrompit : « Sire, je n’my flamme. Sire, je n’my fie ! » Ce patois, rude comme un soufflet, ne voulait pas injurier ; mais le paysan lorrain tenait ses intérêts, comme dans une affaire, et refusait de lâcher son roi.