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L’APPEL AU SOLDAT

faudrait amasser autour de ces dictons autant de commentaires que les Allemands en mettent à la Germania de Tacite.

— C’est curieux, remarquait Mme Gallant, mon père et mes frères, qui parlaient très bien le patois, n’en tiraient ni vanité ni plaisir. Toi, Henri, tu ne le sais pas, et il te rend heureux et fier !

D’accord avec Sturel, elle raillait légèrement et admirait son petit-fils. Sans effort, ils créèrent ainsi entre eux, pendant le souper, une agréable familiarité. Saint-Phlin jouissait de voir son ami apprécié par sa grand’mère, qui tout de même prenait un certain plaisir à montrer son érudition. Le café servi, Sturel, fatigué par le voyage, ne songeait qu’à fumer paisiblement, quand son hôte l’invita à faire un tour.

— Il fait nuit noire, dit Mme de Saint-Phlin.

— Mais l’air est si bon ! répondait sérieusement Henri.

Les deux jeunes gens marchèrent trois minutes dans le silence solennel du parc, et quand leurs yeux se firent aux ténèbres, Saint-Phlin dit à son ami :

— Distingues-tu ce beau chêne ? Tu le remarqueras demain. C’est une des plus belles formes que j’aie vues.

— Plus beau que l’arbre de M. Taine ? dit Sturel, heureux de reporter leurs pensées amicales vers un point du passé où déjà elles s’étaient accordées.

Et formulant les impressions qu’il recevait depuis deux heures :

— Ici, c’est toute la propriété qui d’ensemble constitue cette personne saine, ce beau platane, que