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L’APPEL AU SOLDAT

Les calomnies fabriquées par cette bande commençaient de voltiger sur la France et s’allaient poser jusque dans les cervelles honnêtes. Tout s’irrite et se dégrade. Un immense troupeau de braves gens confond, sur la foi des Bouteillers, les intérêts du parlementarisme avec la Liberté, l’Égalité, la Fraternité et l’Honneur. Les boulangistes dévoyent de leur premier rêve, le relèvement de la France, pour s’associer corps et âme à ce qui ne devait être que leur moyen, la personne du Général. Peut-être, dans cet instant, Sturel hait-il les parlementaires, moins par amour de la patrie que par amour de la haine. À vingt-sept ans et avec un cœur agité, il peut, selon les circonstances, servir la patrie ou venger un clan. C’est en lui le mouvement qu’eut l’Achille homérique quand, au milieu des filles de Scyros où il se dissimulait, on lui présenta une épée.

Mme  de Nelles, aimable, sage, formée avec un soin exquis et prodigue par la nature, lui consacre ses gentilles complaisances ; cela lui plaît seulement comme incident gracieux entre deux campagnes. Pour s’excuser de bâiller parfois dans la chambre d’une femme, « Eh quoi ! se dit-il, elle sait bien qu’elle n’aime pas quelqu’un dépourvu de la faculté de rêver, et, si je rêve sans que jamais des actions suivent, un tel état n’est-il pas le prodrome d’une paralysie générale peu faite pour relever les avantages d’un ami ? » Aux meilleurs instants qu’elle lui donne, il garde son visage tourné vers Londres. Il souffre que les égards qu’il doit à sa maîtresse l’empêchent de s’installer à demeure là-bas. Il craint que le chef ne l’oublie pour les fidèles de l’exil et il cherche tous les moyens de se rappeler à son affection.