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UNE SURPRISE DE PREMIER AVRIL

tenir ces misérables accusations devant la Haute Cour, et bien qu’il fût anti-boulangiste, le procureur général, M. Bouchez, démissionna. On eut des difficultés pour trouver un successeur à cet honnête homme, dont la vertu déshonora le gouvernement et montra les fonctionnaires ébranlés. Quand, le 31 mars, M. Quesnay de Beaurepaire accepta, l’arrestation devenait imminente et les trois accusés passaient le soir la frontière.

Ce départ fera imprimer que le Général fuit, ce qui est d’un lâche et même d’un coupable. Mais, en se livrant à un tribunal d’exception composé de ses pires ennemis politiques, Boulanger aliénerait sa liberté, peut-être davantage, car il entrevoit un point inquiétant : cette visite à Prangins (entente d’un commandant de corps avec un prétendant). Il se croit sûr d’une majorité dans la prochaine Chambre : il sort de France pour un semestre, jusqu’en septembre. Les avantages de cet exil lui paraissent supérieurs aux inconvénients. Comment, depuis sa prison, maintiendrait-il la marche parallèle des états-majors républicains et conservateurs ? Rochefort n’est pas homme à abandonner un prisonnier, mais il brutalisera les fractions modérées du parti. Déroulède, de qui l’activité et l’importance inquiétèrent toujours Boulanger, ne voudra-t-il pas, avec son prestige de général civil et avec son organisation de la Ligue, se hausser à la première place ? Enfin ceux qui fournissent l’argent prétendront tout plier selon leurs vues propres et couper les ressources sur les points en discussion. Voilà les difficultés que devait examiner Boulanger ; on ne lui reprochera pas d’avoir voulu garder un chef au parti,