Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
235
UN SOLEIL QUI VA BIENTÔT PÂLIR

« voleur » jetée par Renaudin à des hommes comme Bouteiller. C’était toujours revenir au fond du débat. Fallait-il souhaiter une guerre au couteau ? Boulanger estimait sans doute qu’on ne la pouvait pas éviter, puisqu’il avait exigé de Laguerre la terrible besogne de cet après-midi. Pourtant, au nom de Renaudin, il fronça le sourcil ; il commençait à moins bien dominer ses impressions, et les compromettantes chevauchées de celui-là l’avaient trente fois embarrassé.

— N’est-ce pas, mon Général, lui dit un membre du Comité, Renaudin a choisi un beau rôle : vengeur de la morale publique ?

Les convives de cette table excellente goûtèrent le plaisir délicat de renier entre eux les exécuteurs de leurs basses œuvres.

Sans esprit, mais avec une cruauté d’écorcheur, Renaudin contentait peut-être les passions de Paris, mais il désobligeait l’état-major du parti, en déterminant de gênantes ripostes et en contrariant des conversions. Seul, Sturel le défendit. Celui-ci n’apportait pas dans cette bataille pour la patrie le goût des luttes courtoises et un idéal d’avocat. Comme tous les purs, qui n’ont rien à ménager, chez qui l’idée ne trouve pas de cloison et envahit tous les compartiments de l’être, ce noble jeune homme, pour la cause, aurait froidement brisé tout et soi-même. Dans cette guerre civile, l’abject Renaudin, qui risque sa peau sur leur barricade commune, est son frère. Il reproche seulement aux attaques des violents d’être successives et peu méthodiques. Il ne lui plairait pas qu’on harcelât les parlementaires, mais, toutes digues rompues, il faudrait