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UN SOLEIL QUI VA BIENTÔT PÂLIR

boulangiste augmente toujours ; croiriez-vous qu’il y a un mois, quand il a accepté mon invitation, il avait plus de trente-cinq soirées prises devant lui, et vous pensez bien qu’il ne va pas chez tout le monde. Je continue à parier pour lui. Mais autant réserver le plus longtemps possible de mettre dans le jeu nos circonscriptions.

Qu’augurer, en effet, des mesures annoncées par le gouvernement ? Sur le procès de sa Ligue, Déroulède disait : « Tout dépend de l’âge des magistrats. S’ils ont encore des chances d’avancement, nous serons condamnés. » On perquisitionnait de tous côtés dans Paris, et pourtant au siège des « Patriotes » on enregistrait des adhésions toute la journée. Les deux partis s’accusaient de troubler les préparatifs de l’Exposition. Turquet, Laguerre, Déroulède bouclaient leurs valises, non pour la fuite, mais pour la prison. Le 13, après la séance où le Sénat venait d’autoriser les poursuites contre Naquet, le Général passa chez Mme d’Uzès, et, parlant des bruits d’arrestation qui couraient, il montra une gaieté exagérée. Le 14, à dix heures du matin, le comte Dillon arriva chez Naquet :

— Mon cher sénateur, le procès de la Ligue n’est qu’un premier pas sur nous. Le Général va être arrêté. Il faut le mettre à l’abri. Qu’en pensez-vous ?

— Je pense que le Général doit tout braver. S’il part, nous sommes perdus.

Dillon conduisit Naquet rue Dumont-d’Urville. Boulanger arpentait à grands pas son cabinet de travail. Il écouta l’un qui disait : « La prison, ce sera un redoublement de popularité ; le départ, l’anéantissement d’une légende de crânerie », et