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UN SOLEIL QUI VA BIENTÔT PÂLIR

Rœmerspacher s’irritait de ces métaphores politiciennes :

— Un chef d’armée dispose de forces qu’il connaît contre des forces qu’il peut estimer. Mais un homme populaire ! Sur quelles bases, quand tout flotte autour de lui, voulez-vous qu’il établisse des calculs sérieux et des plans un peu constants ? Boulanger n’a aucune doctrine ; il ignore la science politique ; ses amis ne se préoccupent pas de l’installer sur cinq ou six idées maîtresses. Il est le produit de circonstances. Qu’il se hâte de les utiliser ! Les Français attendent qu’il fasse crouler le parlementarisme ; s’il échoue, ils l’abandonneront. Un chef, Boulanger ! C’est un fétiche. Mettons, un drapeau.

— Non ! s’écria Mme  de Nelles, voilà le mot juste, un fétiche ! Au fait, qu’a-t-il d’intéressant ?

— Il faut dire que jamais un individu n’intéresse Rœmerspacher, dit Sturel contrarié.

— Permettez ! Boulanger, c’est le monsieur qu’une femme amoureuse supplie de jouer du piano ; il se dit, elle le croit un grand musicien ; il se lève et se met au tabouret, c’est la dernière seconde avant son effondrement. Vous diminuez le Général en convainquant la France de demander une réforme politique à ce charmant et frivole Breton. J’aime autant qu’il reste dans son rôle d’excitateur. Toute activité que je sens parfaitement adaptée à son objet m’intéresse, dans quelque ordre que ce soit : par exemple un homme fait pour la passion et qui en éprouve une grande.

À cet instant, Mme  de Nelles jeta sur Sturel un regard de reproche où il apprit à reconnaître l’expression d’un véritable sentiment. « Quelle belle créature,