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LE POINT CULMINANT

et l’irréflexion habituelles aux anonymes sans responsabilité. Ils discutaient bruyamment et de la manière la plus compromettante l’opportunité d’un coup de main. Faisant le but de tous ces vivats, de tous ces bras tendus, de tous ces yeux noyés de plaisir, le Général en habit, heureux, et calme, usait fort joliment de son beau sang-froid, pour être le moins étonné, le moins ému de son triomphe, que ses mots, ses gestes, les battements de son cœur n’avaient pas un instant mis en doute.

Il se taisait. Qu’attendait-il ? Et même attendait-il quelque chose ? Il ne s’en ouvrit à personne. Était-il donc obligé de penser tout haut ? Son silence intéresse plus notre imagination que ses phrases, rares et pauvres. Sa méditation en face des serviteurs de sa fortune, voilà ce qui nous ouvre un champ, et surtout quand il s’approche de la fenêtre et contemple cette multitude dont l’acclamation sans trêve le glorifie. Cris obstinés, appels au soldat, mais qui non plus ne précisent rien. Plus loin, par delà les regards, toute la France veille en permanence. Quel énigmatique suspens entre cet homme et ce peuple qui, l’un l’autre, s’interrogent !

Sur l’invitation de Déroulède, de Thiébaud et de Lenglé, le Général demanda quelques minutes de solitude. Demeuré avec ces intimes dans un cabinet, il subit leur assaut, leur instante prière de réaliser par un acte le vœu plébiscitaire de la Seine. Avec cette rapidité d’élocution, cette construction antithétique des phrases et cette ingéniosité d’images, saisissantes qui font son éloquence, Déroulède développa que tout homme a dans sa destinée deux courbes, une ascendante, une descendante.