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L’APPEL AU SOLDAT

un orgueilleux effréné. Il a rompu avec Boulanger le jour où il a vu dans son propre parti son influence primée par celle du Général. « Si je l’attaque, mes troupes le suivront, s’est-il dit ; eh bien ! j’aime mieux un seul bataillon bien à moi que de nombreux régiments sur lesquels je n’aurai plus de prise. » Mais a-t-il perdu tout espoir de remettre la main sur les boulangistes ? et ne se contenterait-il pas d’humilier leur chef ?

Dans le ministère même, certains hommes politiques, merveilleux de dextérité, ménagent le boulangisme et répugnent à sortir d’une fluctuation qui dans un instant pourrait les porter à l’un ou l’autre rivage. Que les chefs radicaux s’attardent dans cette équivoque, on le comprend : ils s’appuient sur des cantons de l’esprit public si différents de ceux où règnent les chefs opportunistes ! Tandis que le plus affiché de ceux-ci, M. Jules Ferry, se recommande des traditions et des vertus de l’Angleterre, de l’Allemagne et de Genève, un Clemenceau s’adresse à la sensibilité française qu’il a d’ailleurs déformée pour lui donner une expression parlementaire. Des radicaux et des bonapartistes s’entendraient aisément et sont destinés à se fondre ; les opportunistes et les orléanistes dans un bref délai fusionneront.

Pour constituer l’antithèse du boulangisme, ce n’est donc point à l’extrême gauche qu’il faut se placer. Bouteiller s’ouvre à M. Jules Ferry en toute confiance et ne lui dissimule aucun des embarras de son esprit. Il lui dit avec franchise qu’il voit dans cette monstrueuse nouveauté deux partis fort importants, menés là par une criminelle folie, mais qu’enfin il faut ramener. Le boulangisme, c’est l’ardent,