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L’APPEL AU SOLDAT

place, juste au-dessus des deux bancs réservés aux ministres.

Il s’est trompé : pour l’instant, en France, on sent à la française, et les électeurs regardent leurs élus. Les députés font le vide autour du banc pestiféré où leur vieil ami, blanc comme un linge, déploie des papiers et s’enfonce dans la lecture. Pour protester contre, ce galeux, le député Mesureur demande qu’on lève la séance. La physionomie dure et calme de Bouteiller exprime clairement sa pensée méprisante : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » Il est des 22 qui votent contre, mais, par 259 voix et avec 200 abstentions, la Chambre décide de suspendre ses travaux. Les députés se pressent vers les couloirs. M. Andrieux remonte leurs flots ; lentement il va jusqu’au banc où siège le sacrifié et lui tendant la main : « Bonjour Wilson ; je n’aime pas les lâches, moi ! » Cela même qui donne un frisson à la Chambre ne distrait pas Bouteiller. Il hait le théâtre. Il continue d’annoter à son banc un rapport. Demeuré seul dans l’immense salle avec Wilson, qui lit toujours ses papiers et agonise de cette épreuve, la plus douloureuse dont puisse suer le front d’un homme, il lève vers ces tribunes et ces journalistes qui terrorisent l’assemblée sa figure pleine d’un ennui brutal, et rassemblant ses dossiers, il cède enfin aux puissances de bêtise.

Un Nelles, qui se croit un politique d’oublier les bonnes matinées du dimanche à la salle d’escrime de l’Élysée, peut courir déranger sa femme et Sturel pour se vanter d’un si beau scandale de vertu. Mais un Bouteiller sait bien que la campagne contre Wilson, c’est du boulangisme encore. Ainsi la