Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/181

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
175
AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

Plusieurs fois par semaine, en sortant de la rue Dumont-d’Urville, Sturel déjeunait rue de Prony. Après le repas, tous trois montaient dans le cabinet de Nelles. Thérèse aimait à faire pénétrer son ami comme un parent dans l’intimité de la maison. Les domestiques écartés, le jeune homme expliquait les chances et les projets du Général. Il ne pensait qu’à Mme  de Nelles, mais il adressait toutes ses phrases au mari, parce que, s’il rencontrait les yeux de son amie, il souriait et perdait le fil de sa pensée. Dans cette pièce fort simple, il trouvait des sensations de succès, d’amour et de luxe. Parfois il s’interrompait :

— La politique vous intéresse, madame ?

Ce « madame » les amusait tant l’un et l’autre ! En aspirant une bouffée de sa cigarette, — assez mal, d’ailleurs, car les femmes ne savent jamais fumer, — elle répondait :

— Beaucoup !

Et puis, comme il faut être bien élevée même avec son ami, elle ajoutait sérieusement :

— Ces questions-là, quand elles sont traitées par ceux qui les connaissent et qui savent raisonner, sont tout à fait intéressantes.

À chacun de ces petits compliments naïfs, Sturel s’émerveillait, heureux comme un enfant au premier janvier, devant les révérences d’une magnifique princesse, sa poupée. Le visage fin de Thérèse de Nelles prenait dans ce fumoir et sous cette politique quelque chose d’un peu garçonnier, non pas un air ennuyé, mais plus appliqué, plus ferme qu’il ne convient à vingt-trois ans. Sa jeunesse, son teint mat, ses dents éclatantes, son sourire d’élève qui comprend, composaient à cette jeune femme que Sturel avait vu