Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
173
AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

Mme  de Nelles attendait Sturel depuis quatre heures de l’après-midi. Il n’arriva qu’à neuf, Avec grande raison, elle détestait ces manques d’égards ; pourtant elle employa ce long intervalle à le désirer d’une impatience où il n’y avait que de la tendresse. C’est que sachant, comme toute la France, la grave blessure de Boulanger, elle imaginait qu’un jour Sturel pourrait se battre, courir des risques à cause de la politique. Pour la première fois, elle se représenta qu’il mourrait, et l’insupportable oppression qu’elle sentit au creux de l’estomac lui fit comprendre qu’elle le priait seulement de vivre et d’être heureux.

Elle le lui dit, ce soir même, quand il entra avec un bandeau sur le front, les mains chaudes de fièvre, et dans les yeux une lumière, un reste de fureur qu’elle aima.

S’il avait été un homme à dénombrer les qualités de son plaisir dans les bras d’une jolie femme, il aurait pu noter sa parfaite sincérité quand il lui jurait de la préférer à tout. Cette grossière fête gambettiste l’avait écœuré ; Mme  de Nelles, après la goujaterie de Bouteiller, lui semblait une perle, une fleur, une âme innocente faite sensible dans un beau corps odorant. Et puis, dans ce désastre de l’armée boulangiste dont le chef gisait, ce jeune homme romanesque trouvait les émotions d’un magnifique sauve-qui-peut à se jeter au lit d’une femme.

Nelles visitait sa circonscription. Ils furent dispensés de confier leurs premiers plaisirs aux indélicatesses d’un hôtel garni. Thérèse avait des épouvantes, de la confiance, de longs chuchottements dans cette maison obscure où ils guettaient le moindre bruit en