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AMOURS DE STUREL ET DE MADAME DE NELLES

Sturel recevait de son parti un surcroît de jeunesse et de vie. Il entraîna par son optimisme Mme  de Nelles, qui se croyait très raisonnable, parce que personne n’avait éveillé ses sens, et qui le traitait d’enfant, quand il lui demandait avec insistance, au bout de dix jours, ce qu’il eût été à peine convenable de solliciter après plusieurs mois d’aveux discrets. Il désirait cette jolie femme, et, circonstance heureuse, comme, tout de même, elle ne faisait pas le plus gros des intérêts qu’il soignait, il ne s’embarrassa point dans les préliminaires que nous accumulons sur une question de vie ou de mort.

Ses prières ardentes la touchaient, en même temps que ses distractions l’inquiétaient. Au sortir d’une soirée où le baron de Nelles n’avait pas paru, il déclina de la reconduire, comme elle voulait bien le lui offrir, et il préféra accompagner Boulanger. Il revint, seul avec son Général, rue Dumont-d’Urville. Délicieux instants ! La conversation languissait, parce que Boulanger suivait ses préoccupations et qu’il connaissait mal Sturel. Le jeune homme se sentait une âme de soldat fier de servir et une âme de courtisan désireux de plaire. De leur voiture rapide, emportée dans l’obscurité, il voyait aux terrasses des cafés violemment éclairés des groupes de causeurs, et il se disait : « Ils parlent sans doute de Boulanger et il ne savent pas que devant eux passe l’objet de leurs espérances ! » Le lendemain, il s’excusait de cette détestable grossièreté auprès de Mme  de Nelles, et, voyant qu’elle le favorisait au point d’avoir souffert, il jouissait déjà de son ancienne camarade comme d’une maîtresse. Songeant en même temps aux progrès certains du boulangisme, il avait hâte de se