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STUREL RENCONTRE MADAME DE NELLES

avait à donner : de la confiance. Attachés aux princes par leurs mœurs et quelques-uns par leurs paroles, ils se flattaient d’avoir trouvé un Monk, et, à mesure qu’ils subissaient son influence, leur petite société reproduisait l’esprit équivoque des politiques anglais vers 1660. Le restaurateur de la monarchie ne traita avec Charles II qu’après s’être convaincu de son impuissance à occuper la première place. Les gens du monde qui, dans cette soirée de la fin d’avril 1888, entourent le général Boulanger, ne frayent assurément avec ce favori du suffrage universel que parce qu’il peut être « l’espoir des honnêtes gens » ; mais, au profond de leur conscience, ils lui laissent une grande latitude sur la façon de réaliser cet espoir. Ils cherchent des garanties auprès du pouvoir naissant, et par l’étalage de leur luxe, de leur politesse, de leur prudence de mœurs, et de leur faculté d’insolence, ils pensent bien lui faire entendre ce que comprirent tous les parvenus : qu’il n’y a qu’eux qui sachent servir. D’ailleurs, le succès seul pouvait les rendre sûrs, d’une sûreté qui durerait autant que le succès.

Et lui, au milieu d’eux, avec cette figure déjà légendaire que lui fait sa barbe blonde, l’œil doux et profond, la tête légèrement inclinée, il continue de plaisanter et de montrer une aisance agréable et un peu vulgaire. Léger, sensuel, dressé à se tenir sous les regards, il subit comme une caresse cet élan de curiosités et de sympathies parfumées, et puisque sa passion et son rôle, c’est de créer de l’engouement, où pourrait-il mieux se plaire que dans ce triomphe aristocratique ?

Il se plaisait davantage aux combats de Robechetta