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STUREL RENCONTRE MADAME DE NELLES

répondit avec à propos le jeune homme. — Il suffit qu’elle existe.

— Précisément, messieurs ; Sturel a confiance en moi. Tout est là. Il serait absurde de chicaner sur leurs motifs ceux qui viennent au Parti national.

Cette déclaration eut un immense succès parmi ces débris élégants des anciens personnels. Dans cette boutade du Général, ils entendirent une invite à former le fameux syndicat des mécontents. C’est davantage : c’est une formule forte et vraie de sa raison d’être dans un pays si profondément divisé. En cédant, semble-t-il, à un mouvement de fatuité césarienne, son instinct de soi-même vient d’atteindre à la profondeur. Voilà bien le rôle de cet homme qui peut être un grand drapeau vivant. Il donne à chacun le droit de marcher à côté d’adversaires sans rien abandonner de ses différences et sans même s’expliquer.

Le remous produit par cette parole se propagea jusqu’aux extrémités des trois vastes salons, et Mme de Nelles, en tournant les yeux, comme tous les invités, vers l’angle où se tenait Boulanger, le vit familièrement appuyé sur l’épaule de son ancien ami de la villa Coulonvaux. « Comme il est important dans ce monde-là ! » pensa-t-elle. Un vague malaise, regret ou remords, l’attrista : « J’ai eu le tort de lui marquer du dédain sur sa politique. Mieux que ne font mon mari et les hommes de notre entourage, il doit aimer le beau et le bien. » Cette pensée, en l’occupant, donnait à tout son corps un dessin qui conseillait certainement à un idéaliste de vingt-cinq ans l’amour du beau et du bien.

— En tout cas, mon Général, — dit le baron de