Page:Barrès – L’Appel au Soldat.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
147
STUREL RENCONTRE MADAME DE NELLES

degré où il la pousse, l’impertinence oratoire devient esthétique. Naquet a déposé un projet de loi sur les opérations de jeu qui est une merveille bien supérieure à sa campagne pour le divorce !

Elle répondit par une moue qui le mécontenta. Voulut-elle effacer cette impression, ou bien partageait-elle l’engouement de toute la France ? Elle reconnut au moins que Boulanger était sympathique.

Le Général allait de groupe en groupe, conduit par la maîtresse de la maison, distribuant de légers coups de tête, des serrements de main, des regards, des paroles d’intelligence, et faisant son métier de chef de parti avec une grâce et un aplomb que cette petite société n’attendait pas d’un homme qui portait un nom si commun. L’opinion que ces gens du monde avaient d’eux-mêmes les disposait à l’admirer du moment qu’il évoluait au milieu d’eux avec aisance. Formé dans les mess d’officiers et dans les réceptions de ministère, capable d’enlever un peuple par son prestige physique dans les parades, il venait, en outre, de tenir des cercles, autrement importants que celui de ce soir, au cours de sa tournée triomphale dans le Nord. Là-bas, confiant, jamais étonné, toujours égal, tantôt soldat et de grand air, tantôt gentil garçon qui plaisante, il a pressé à chaque station des centaines de mains, parlé avec assurance des modestes intérêts locaux, et embrassé des « petites Alsace-Lorraine » qui pleuraient avec timidité sur leurs œillets rouges : puis il télégraphiait des tendresses à Mme  de Bonnemains. Dans une occasion semblable, Henri IV écrivait à Mlle  d’Estrées : « Une vieille femme, âgée de quatre-vingts ans, m’est venue prendre la tête et m’a baisé. Je n’en ai pas ri le pre-