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L’APPEL AU SOLDAT

Cette évocation si vraie d’une honnête petite fille évanouie n’entraîna pas Sturel dans le domaine des moralistes. Le boulangisme lui donnait la forte humeur des camps, qui ne s’attarde pas en délicatesses lymphatiques. Il admira cette gorge, ces hanches, cet ensemble où il respirait l’amour, et la tristesse. Son mécontentement qu’elle eût été possédée par un autre, il le marqua au moins par sa manière de prononcer :

— C’est une telle perfection qui, pour moi, s’est montrée si dure.

— Il ne faut pas compter sur les personnes de dix-neuf ans, répondit Mme  de Nelles en lui tendant la main. Jusqu’à notre majorité, nous habitons un autre monde, la plus jolie des étoiles, et sur terre nous nous démêlons très mal. Les petites filles acceptent toutes les apparences et ne discernent pas les choses voilées : elles imaginent et elles méconnaissent avec une égale facilité, parfois bien coupable.

Sturel se croyait depuis longtemps consolé, mais auprès de cette élégante jeune femme, plus belle avec ses formes développées et qui l’enivrait, il prit naturellement l’expression d’un désespoir qui n’ignore pas son remède, et dans un éclair qu’elle supporta avec une innocente effronterie, il lui exprima quels désirs fous l’envahissaient.

Comment se trouvait-il là ? Vraiment ! il accompagne le Général, avec MM. Dillon, Laguerre, Naquet ! Elle ne lisait dans les journaux, que les, échos mondains ; elle se plût à montrer son ignorance et à prouver son exclusivisme aristocratique. Il vanta ses amis d’une façon presque technique :

— Regardez Laguerre, il n’a pas trente ans. Au