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STUREL CHEZ LE SYNDIC DES MÉCONTENTS

thousiasme. Vive un général qui multiplie les Déroulèdes ! Mais je ne suis ni un artiste ni un homme d’action : ma conscience d’historien, mon honneur spécial, me comprenez-vous ? ne me permettent pas de collaborer avec Déroulède. Mes études m’apprennent que la France est une combinaison politique infiniment compliquée et que nous ne connaissons pas : votre Général va agir au hasard, tout comme un autre. C’est son droit d’homme providentiel, mais moi, homme de réflexion, je me déshonorerais si j’affirmais l’efficacité d’un expédient, que d’ailleurs je ne blâme point.

— Il devient un peu cuistre, disait Sturel à Saint-Phlin.

Mais Saint-Phlin lui-même réclamait une réponse précise à son questionnaire militariste. Sturel se garda d’embarrasser Boulanger : il renseigna son ami avec le désir de recruter des partisans plutôt que d’atteindre la vérité. Alors les jeunes hobereaux demandèrent des déclarations publiques. Sturel dépeignit le Général occupé à convertir son comité. Un jour, à Saint-Phlin qui le pressait, il répondit sérieusement :

— On n’est pas sûr de Vergoin !

Saint-Phlin est de ces esprits lents qui, pressés de prendre une décision, pourraient agir sous une impression artificielle et qui trouvent leur vérité en la laissant se dégager peu à peu de leur conscience. Dans sa province et dans une propriété où les objets lui parlaient, il avait trouvé des convictions auxquelles il se laissait aller comme à une vie purement instinctive : dans ce premier moment, il lui eût été insupportable d’avoir à prouver leur valeur, car ses