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L’APPEL AU SOLDAT

seulement contre les projets de ses collègues, mais encore et surtout contre ceux du gouvernement qui ont le pas sur le sien. D’ailleurs, député ou sénateur, il n’a d’action que sur l’assemblée où il siège, et quand son idée serait généralement acceptée, il lui faudrait deux, trois, quatre ans pour en faire une loi ; mais qu’elle suscite une opposition, c’est par dizaines qu’il devra compter ses années d’intrigues : or, dans dix ans, il sera mort ou non réélu. Cette vue l’amène à penser que l’initiative gouvernementale lui offrirait un meilleur moyen d’action, d’autant que, s’il ne dispose pas du gouvernement, il risque de l’avoir contre lui, les ministres n’aimant guère les projets d’initiative parlementaire, qui risquent de les diviser entre eux et sur lesquels souvent ils culbutent. Il faut donc être ministre. Et voilà le député qui, au lieu de rédiger sa proposition de loi, de la défendre dans le Parlement et dans le pays, poursuit la chute du ministère. Il crée des groupes et des sous-groupes, régiments pour donner l’assaut ; il multiplie les intrigues et les coalitions ; il mine. Enfin, jour heureux, il jette bas le ministère : il y est porté ; il va faire réussir son projet. Non pas ! Il n’est devenu ministre que par une coalition. Ses partisans sont loin de partager toutes ses vues : uniquement préoccupé de conquérir un portefeuille, il ne s’est point efforcé de les y amener. D’ailleurs, plus d’un collègue monte contre lui les batteries que lui-même montait contre ses prédécesseurs. S’il présente son projet de réforme, il va sombrer devant une coalition nouvelle. Il attend d’être solidement établi ; nul ministre ne constitue une vraie majorité gouvernementale, et celui-ci tombe sans avoir rien accompli