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de torture physique et d’épouvante morale, il n’a jamais regretté que de n’avoir pas connu l’opium plus tôt : « Je n’admets pas que j’aie été en faute… La première fois que j’ai eu recours à l’opium, ce fut sous la contrainte d’une douleur atroce. Voilà les faits : il y a eu accident. Mais il aurait pu en être autrement sans que je fusse à blâmer. Si j’avais su plus tôt quels pouvoirs subtils résident dans ce puissant poison,… si je l’avais seulement soupçonné, j’aurais certainement inauguré ma carrière de mangeur d’opium dans la peau d’un chercheur de jouissances et de facultés extra, au lieu d’être l’homme qui fuit un supplice extra. Et pourquoi pas ?… Je n’admets pas d’argument moral contre le libre usage de l’opium[1]. » Il « n’admet pas… ». C’est le langage ordinaire des pêcheurs endurcis : — Cela ne regarde que moi. — On va loin avec cette théorie.

Quincey ne veut pourtant pas qu’on le croie capable d’avoir cédé à l’horreur de la douleur physique. L’excuse lui paraît trop basse, quoiqu’elle soit la seule bonne. Il tient à ce qu’on sache qu’il a demandé à l’opium précisément les voluptés défendues dont il avait eu la révélation à sa première fiole : « Une heure après, ô ciel ! quelle transformation ! quelle résurrection intérieure d’une âme émergeant de profondeurs insondables ! quelles révélations d’un monde inconnu que je portais en moi ! La fin de mes souffrances n’était plus qu’une bagatelle à mes yeux. Cet effet purement négatif était noyé dans l’immensité des effets positifs qui se découvraient à moi, dans l’océan des joies divines qui s’était tout à coup dévoilé. Je tenais une panacée, un φάρμαχον νηπενθές, pour tous les maux des humains. Je tenais le secret du bonheur sur

  1. Confessions, etc.