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III

L’histoire de la chute misérable de Thomas de Quincey, de la détérioration de son intelligence et de son être moral sous l’influence d’un poison en pilules ou en bouteilles, est restée une histoire d’aujourd’hui, dont chacun de nous peut voir les divers chapitres se répéter sous ses yeux, avec leurs cruelles péripéties et leurs dénouements inévitables. Il n’y a de changé que l’étiquette du flacon. Les efforts des morphinomanes pour tenir leur vice secret ne réussissent jamais qu’un temps. D’ailleurs les médecins les trahissent dans l’intérêt public. Plusieurs de ces derniers, et non des moindres, effrayés de la grandeur soudaine de ce mal nouveau, l’ont dénoncé avec énergie. Le docteur Ball écrivait en 1885 : « L’abus de la morphine, qui depuis quelques années a pris de si grandes proportions, est généralement limité aux classes supérieures… Mais, depuis peu, ce vice tend à se répandre même parmi nos ouvriers[1]. » Trois ans après, du docteur Pichon : « La morphinomanie est actuellement une passion, un vice aussi grave, aussi redoutable, plus redoutable, peut-être, que l’alcoolisme, que l’absinthisme. Il y aurait, certainement, exagération à dire que l’ivrognerie morphinique est aussi répandue que l’ivrognerie éthylique et l’ivrognerie absinthique. Mais personne ne saurait nier que le morphinisme ait progressé d’une façon effrayante depuis trois ou quatre ans[2]. » du même, en 1890 : — « … Pendant longtemps,

  1. La Morphinomanie.
  2. Les Maladies de l’esprit.