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la colossale culpabilité et de la colossale misère du cœur humain. »

Ses études marchaient de pair avec les progrès extraordinaires de son esprit. Il fut la gloire de la première école où sa mère l’envoya. À douze ans, il faisait des vers latins dignes des humanistes du vieux temps. À quinze, il composait des poésies lyriques en grec et avait retrouvé dans Démosthène « les véritables lois de la rhétorique », sur lesquelles « les modernes n’ont écrit que des sottises ». L’un de ses professeurs disait un jour à un étranger : « Ce gamin-là haranguerait une foule athénienne plus facilement que vous et moi une foule anglaise. » C’était peut-être vrai. Quincey parlait grec couramment, sur n’importe quel sujet, connu ou non des anciens. Il avait pris l’habitude de se lire à lui-même les journaux anglais en grec, tous les matins, et il avait acquis à cet exercice « une adresse surnaturelle » pour fabriquer des périphrases et découvrir des équivalents.

Il possédait la littérature anglaise sur le bout du doigt, même les très vieux auteurs, même ceux que personne ne lit, même les livres introuvables qu’on ne déniche que par une grâce d’état. Passionné pour la poésie de son pays, il aimait à rappeler plus tard qu’il avait salué sa renaissance moderne dès la première aurore et voué un culte aux Lakistes à une époque où le public les ignorait et où la critique n’avait pas de mots assez durs pour Wordsworth et Coleridge. « On les vilipendait, dit-il. J’ai été en avance de trente années sur mon temps, et j’en suis justement fier. »

Une mémoire alerte et impeccable tenait ce savoir immense à son service, et faisait de ce pâle petit écolier un objet de curiosité pour ceux qui l’approchaient. La maturité de son esprit était un autre sujet d’ébahissement pour les étrangers. Personne ne s’avisait de