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blancs ; « et dans les lits étaient des enfants malades, des enfants mourants, qui s’agitaient avec angoisse et pleuraient à grands cris pour avoir la mort ». Il revit la même vision, la revit encore, en fut longtemps poursuivi, et garda de son deuil l’impression d’un événement irréparable, qui « courut après lui une grande partie de sa vie ». Il ajoutait : « Je ressemble peut-être très peu, en bien ou en mal, à ce que j’aurais été sans cela. »

Il sera juste de lui tenir compte de cet héritage morbide, de ce tempérament mal pondéré, quand nous le verrons s’abandonner sans résistance à la tyrannie abjecte et redoutable de l’opium. Thomas de Quincey, ses frères et ses sœurs, continuaient de payer pour la tare pathologique de leur père. On ne savait pas encore, dans ce temps-là, quel créancier impitoyable est la nature. « L’hérédité, a dit un homme de science[1], c’est la solidarité entre les générations successives ; elle pourrait devenir le plus puissant facteur du progrès humain, si chaque homme était convaincu que chacun des actes de sa vie doit retentir sur sa descendance :


Pour que vos actions ne soient vaines ni folles,
Craignez déjà les yeux futurs de vos enfants[2].


Le vieux Quincey n’avait pas craint ces « yeux futurs » qui allaient témoigner contre lui en s’emplissant de l’ombre du tombeau ou de rêves effrayants. Son fils Thomas fut peut-être le plus accablant de ces témoins, justement parce qu’il vécut et qu’il avait du génie. C’était ce que les médecins appellent un « dégénéré supérieur ». Il lui fut impossible de remplir sa

  1. M. le Dr Paul Le Gendre, L’hérédité et la pathologie générale.
  2. Jean Lahor, Bénédiction du mariage persan.