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forme de pilules était d’un usage tout à fait habituel parmi les classes inférieures, dans le voisinage des marais. »

De ces victimes du puissant poison oriental, l’une au moins n’a jamais renié son erreur. Thomas de Quincey s’en est plutôt paré. Il se repentait par instants, lorsqu’il souffrait trop et qu’il avait peur de ce que lui réservait le lendemain. La crise passée, il se faisait l’historiographe complaisant des effets de l’opium sur l’âme humaine, et il ne s’est jamais lassé de les analyser, de les décrire par le menu, avec une précision qui donne beaucoup de prix à ses récits, et non pas seulement dans ses fameuses Confessions d’un mangeur d’opium, mais dans cent endroits de ses œuvres, de ses lettres, de son Journal, de ses notes inédites. Ce n’est pas chez lui obsession maladive ; c’est l’hommage volontaire de l’esclave crucifié au maître cruel qu’il ne peut s’empêcher d’admirer et de diviniser, tout en luttant contre lui pour sa raison et pour sa vie. Nous savons au juste, grâce à Quincey, ce qu’il en coûte de charger ses épaules d’un joug pareil, qu’on ne secoue plus sans arracher la chair vive. Dans l’étude précédente sur le Vin, nous avons vu Hoffmann payer ses excès de boisson par des troubles profonds de l’imagination. L’opium s’en prend à d’autres parties de notre être moral. Il agit sur la volonté, pour la paralyser, sur la conscience, pour la rendre calleuse ; c’est-à-dire qu’il ruine et dévaste ce qu’il y a en l’homme de plus noble et de plus précieux. La connaissance que chacun de nous peut avoir du bien et du mal n’est nullement obscurcie ; Quincey le répète avec insistance, et Coleridge le confirme dans une lettre ; mais nous avons perdu la faculté et jusqu’au désir d’agir selon cette connaissance, et cela est autrement grave que d’avoir une imagination incohé-