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chances de survie deviennent problématiques. Tel fut en Allemagne le sort d’Hoffmann. La haute critique ne s’en occupa guère, lui étant indifférente ou hostile. Il avait pour lui la foule, mais la foule est très inconstante. Il sombra. Des divers écrivains qui étaient en lui, l’humoriste fut le premier démodé : « Cet Hoffmann m’est insupportable, disait Guillaume Grimm, avec son esprit et ses pointes à tout propos. » L’humour qui n’amuse pas exaspère : il n’y a pas de milieu ; et j’ai grand’peur pour Hoffmann que l’esprit tortillé du Chat Murr ou du Chien Berganza ne réjouisse plus ses compatriotes.

L’écrivain fantastique se défendit mieux et exerça une certaine influence sur la littérature nationale ; mais lui aussi a succombé et on ne le lit plus guère dans son pays. Il n’intéresse plus. L’Allemagne actuelle est trop loin de celle qui réclamait le monopole des fantômes et des choses vagues et terribles, criant à nos romantiques par la voix d’un de ses grands poètes : « Dans le mot spectre, il y a tant d’isolement, de grondement, de silencieux, d’allemand… Laissez-nous, à nous autres Allemands, toutes les horreurs du délire, les rêves de la fièvre et le royaume des esprits. » Les nouvelles générations germaniques, qui ont la tête si claire et si solide, doivent hausser les épaules lorsque des lignes comme celles-là leur tombent sous les yeux. Les esprits n’ont jamais habité les casernes ni les usines.

Tout compte fait, c’est en France qu’Hoffmann a été vraiment aimé, j’ose dire plus, vraiment compris, et par l’élite. On sait combien son action a été forte sur nos romantiques. Dès que parurent les premières traductions fidèles, Sainte-Beuve signala le côté original et séduisant des « meilleurs contes », ceux où l’auteur a « dégagé et mis à nu le magnétisme en