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bourgeois imbus de préventions contre la vie d’artiste. L’auteur les gênait aussi, en tenant boutique de camelote littéraire. En un mot, Hoffmann était compromettant, et il n’y avait aucune raison de faire cause commune avec lui. « Hoffmann, dit encore Heine, n’appartient pas à l’école romantique. Il ne fut pas en contact avec les Schlegel, et encore moins avec leurs tendances. » Pour d’autres écrivains allemands, qui n’aiment pas l’école romantique, Hoffmann est, au contraire, « le romantisme en chair et en os[1] ». Les deux thèses peuvent se soutenir. L’auteur de Don Juan était de ceux qu’on a le droit de se renvoyer d’un camp à l’autre, au mieux des intérêts de chacun, parce qu’il n’a jamais été enrôlé sous aucun drapeau.

On a vu que son fantastique était un fantastique à part et bien à lui. C’était même son originalité, son raffinement, qui le rendaient malsain. Le merveilleux ne fait plus peur qu’aux petits enfants et aux bonnes femmes, tandis que le monde et les sciences occultes ont conservé leur empire sur les tempéraments nerveux et les esprits impressionnables. Les contes d’Hoffmann agissaient sur une portion du public à la façon d’une séance de tables tournantes ou d’hypnotisme. On conçoit que Goethe les jugeât dangereux, dans un temps où le magnétisme troublait les cervelles ; mais on ne saurait refuser à leur auteur le mérite d’avoir créé un genre, bon ou mauvais, sain ou malsain. Hoffmann avait subi plus ou moins diverses influences ; il n’était vraiment le fils ou le frère spirituel de personne.

Quand un écrivain n’est inféodé à aucun groupe, il court risque d’être abandonné à lui-même dans la lutte pour l’existence. S’il est, de plus, contesté, ses

  1. Gottschall, loc. cit.