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IV

Sept années s’étaient écoulées depuis qu’Hoffmann avait réalisé son rêve de n’être que poète et de vivre en poète. Il en avait assez. Il commençait à s’avouer que le romantisme en action est une erreur. La misère avait été le moindre de ses maux, le pire étant de trafiquer de ses dons d’artiste et d’écrivain. Quand il tirait ses crayons pour exécuter une commande de caricatures patriotiques à quatre thalers pièce ; quand il rentrait d’une soirée où il avait accompagné au piano les « piaillements, miaulements, gargouillades, soupirs, geignements, trémolos et grincements » de ses élèves mâles et femelles ; quand il avait barbouillé un article sur la dernière œuvre d’un musicien infime ou un conte à dormir debout pour un almanach quelconque, le dégoût le prenait, et le regret de son honnête bureau, qui lui assurait des loisirs pour bayer aux étoiles. Il arriva ainsi que, tout en ne pardonnant pas à l’oncle Otto de l’avoir destiné à l’administration, Hoffmann accueillit son ami Hippel comme « l’Ange de la consolation » lorsque ce dernier se chargea de le faire rentrer dans les fonctions publiques : « (Journal, 6 juillet 1813.) Il est toujours le même. Il m’a promis à l’instant même une place à Berlin ; il m’a donné sa montre à répétition en or… »

Hippel s’acquitta de sa promesse sans trop de peine. Hoffmann avait été un employé modèle. C’est un des plus beaux triomphes de l’éducation que je connaisse, l’un des plus propres à confondre ceux qui viennent vous dire qu’on est ce qu’on est, et que rien n’y change rien. Voyez Hoffmann, ce bohème, ce buveur