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quiétude sur mes facultés créatrices était mon plus grand sujet d’abattement. »

Il rentra à Paris vers le 19 juillet, guéri en apparence. Au premier effort cérébral, la folie éclata de nouveau. Le 8 août, il fallut le reconduire à Passy, où il arriva irrité, mauvais, sûr d’être dans son bon sens et accusant le ciel et la terre de le persécuter. Sa thèse fut désormais celle-ci : « Je conviens officiellement que j’ai été malade. Je ne puis convenir que j’ai été fou, ou même halluciné. » On ne le fit plus sortir de là. Il ajoutait : — « Si j’offense la médecine, je me jetterai à ses genoux quand elle prendra les traits d’une déesse[1]. » À l’ancienne affection pour le docteur Blanche, à l’ancienne reconnaissance pour tant de services où l’intérêt n’avait certes rien à voir, avaient succédé les colères, les menaces, la défiance de la victime envers son geôlier. Il écrivait à tous ses amis pour se plaindre de son « incarcération ». À quoi bon s’appesantir ? Pourquoi citer des divagations dont il n’était pas responsable ?

Ce fut le moment que choisit son père pour notifier qu’il refusait de s’occuper de lui. Il y avait vingt-cinq ans que M. Labrunie s’était désintéressé de son fils et qu’il recevait sans en être touché les tendresses d’un cœur qu’aucun rebut ne put lasser. Malade ou bien portant, absent ou présent, Gérard de Nerval n’oubliait jamais son père. Il quittait tout pour l’embrasser avant son coucher, pour lui répéter par lettre, ou de vive voix, qu’il n’avait point de meilleur ami. Autant parler à une pierre, et, quand le docteur Blanche le prévint que son malheureux fils n’était plus « en état d’être abandonné à ses propres forces », le vieillard se déroba

  1. Lettre à l’éditeur Sartorius. Collection de M. de Spoelberch de Lovenjoul, de même que la suivante.