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l’autre hémisphère de sa pensée. Si nous reprenons le Rêve et la Vie, nous voyons qu’insensiblement, il se mêlait des scènes sanglantes ou douloureuses aux visions mystiques. Une hallucination lui fut pénible entre toutes : la femme qu’il avait aimée sous divers noms et diverses formes épousait son double, « l’autre », et il se demandait avec angoisse si l’autre était son bon ou son mauvais moi, sans parvenir à se reconnaître entre ses deux personnalités.

En novembre, les progrès du mal aidant, il réfléchit qu’il n’avait jamais été fou et que les médecins se trompaient, faute de savoir ce que lui savait. Il s’étend dans une lettre du 27 sur « cette singulière maladie, qui, dit-il, est pour moi l’âge critique, et dans laquelle on n’a vu sans doute que les apparences de l’égarement ». Il trouvait qu’on se pressait trop de parler de lui au passé. Déjà, lors de son premier accès, Jules Janin avait fait son oraison funèbre dans le Journal des Débats, et cela lui avait été fort désagréable, quelque louangeur que fût l’article. Alexandre Dumas lui ménagea la même surprise en décembre 1853, dans la persuasion qu’il ne guérirait jamais. Gérard de Nerval riposta par la préface des Filles du Feu : « (À Alexandre Dumas.) Je vous dédie ce livre, mon cher maître, comme j’ai dédié Lorely à Jules Janin. J’avais à le remercier au même titre que vous. Il y a quelques années, on m’avait cru mort et il avait écrit ma biographie. Il y a quelques jours, on m’a cru fou, et vous avez consacré quelques-unes de vos lignes les plus charmantes à l’épitaphe de mon esprit. Voilà bien de la gloire qui m’est échue en avancement d’hoirie… »

Le 27 mai 1854, il parut assez remis pour quitter la maison de santé. Il ne prit que le temps de faire un tour aux Halles et partit pour l’Allemagne. À Georges Bell : « (Strasbourg, le 1er juin 1854.) À propos, tâchez